LES PRÉJUDICES ENVIRONNEMENTAUX LIES A L’EXPLOITATION DU PHOSPHATE AU TOGO : CAS DE KPEME ET GOUMOUKOPE

Situées dans la région Maritime, plus précisément dans la préfecture des lacs, Kpémé et Goumoukopé sont toutes deux des localités sœurs de par leur positionnement géographique (car côte-à-côte l’une de l’autre) dans le sud-est du Togo, le long du Golfe de Guinée. Elles sont caractérisées par des paysages diversifiés, allant des plaines côtières à des collines intérieures. Kpémé et Goumoukopé compte à ce jour, plus de 15.000 habitants. Les populations dans ces deux milieux vivent essentiellement de la pêche et l’agriculture. Le maraichage est l’activité agricole la plus prisée après la pêche.

L’installation de l’usine de traitement et d’acheminement de la Société Nouvelle de Phosphates du Togo (SNPT) à Kpémé entraîne un certain nombre de problèmes environnementaux qui relèvent du domaine de l’injustice sociale et environnementale affectant les droits sociaux et environnementaux des populations de Kpémé et Goumoukopé.

Cet article se penche sur les répercussions d’ordre environnemental causées par le traitement du phosphate dans l’usine de la SNPT sur les communautés sœurs de Kpémé et de Goumoukopé.

Bref historique de l’exploitation des phosphates au Togo

Dans la région maritime, le bassin sédimentaire côtier renferme les principales minéralisations dont les phosphates et les calcaires. Le gisement de phosphates par exemple s’étend depuis la zone d’Avéta jusqu’à celle de Dagbati et interrompu par la vallée du Haho (Agbossoumonde, 2012). La décision d’exploiter les phosphates au Togo fut prise en 1957. Elle a été suivie par la création de la Compagnie Togolaise des Mines du Bénin (CTMB), nationalisée en 1974, puis appelée Office Togolais des Phosphates (OTP) en 1980. Cet office a donc vu son nom changé à plusieurs reprises avant de devenir la Société Nouvelle des Phosphates de Togo (SNPT) de nos jours.

D’importantes réserves de phosphates au Togo estimées à plus de 80 millions de tonnes (80 MT)

Les réserves de phosphates sont estimées à plus de 80 MT au Togo. Troisième producteur de phosphate en Afrique subsaharienne et cinquième sur le plan mondial, l’exportation du phosphate au Togo a une production estimée à environ 2,5 MT en 2002. Elle est considérée comme “le poumon de l’économie togolaise” car contribuant pour environ à 40% des recettes d’exportation du pays (Agbossoumonde, 2012).

Le paradoxe minier de l’exploitation de phosphates au Togo : « Le syndrome hollandais »

Il a été toujours d’une usité paradoxale de corréler la présence/l’abondance ou le manque de ressources naturelles avec le développement d’un pays. Il y a de cela quelques décennies que cette perception est fausse avec les travaux de modélisation économique des deux économistes Corden W. Max and Neary J. Peter en 1982. Leurs travaux ont permis de confirmer le magazine éditorial The Economics qui a utilisé pour la première fois le terme « syndrome hollandais » en 1977 pour qualifier le paradoxe minier, en anglais « Deutch disease ». Le syndrome hollandais est la relation de cause à effet apparente entre l’augmentation du développement économique d’un secteur spécifique (par exemple les ressources naturelles) et le déclin d’autres secteurs (comme l’agriculture par exemple).

En effet, le fait d’être richement doté n’est pas le facteur le plus déterminant de réussite. Pour preuve, les localités comme Hahotoé-Kpogamé et même Kpémé et Goumoukopé où l’usine de traitement des phosphates est implantée subissent de plein fouet des préjudices causés par l’exploitation de ce minerai sur l’environnement local. En dépit de leur contribution importante dans l’économie du pays, l’exploitation et l’extraction des minerais de phosphate au Sud Togo ont des impacts considérables sur l’environnement à cause des rejets incontrôlés des effluents et des émissions de gaz et de poussières. Le Togo ne dispose d’aucun centre de traitement de déchets et la plupart de ces déchets sont directement déversés dans la mer ; polluant celle-ci et empiétant même sur les moyens de subsistance des secteurs que sont la pêche et l’agriculture dans ces deux communautés riveraines à l’usine de phosphate. 

Les préjudices environnementaux à Kpémé et Goumoukopé

Les villages de Kpémé et Goumoukopé subissent la pollution issue du traitement et du déversement des boues de phosphates déversées dans la mer. Par ailleurs, les populations desdits villages sont exposées aux poussières de phosphates lors de l’enlèvement du phosphate par les bateaux – polluant ainsi la qualité de l’air dans le milieu.

De plus, l’utilisation des terres de Goumoukopé par la SNPT, par exemple, a dépourvu cette communauté de sa capacite à valoriser ces terres pour des activités génératrices de revenus. En effet, cela a des répercussions sur la disponibilité des terres pour des fins agricoles et de maraichage ; et d’investissements pour développer le milieu.

La pollution de l’eau de mer par les boues de phosphates entraîne des répercussions au niveau de la biodiversité marine et la chute des produits de pêche que sont les poissons. Les boues de phosphates polluent également l’eau potable, les eaux de puits et autres eaux douces dans le milieu, privant les communautés d’un accès équitable à l’eau potable. Les concentrations du fluor dans l’eau de mer sont de 1,86-35,25 mg/l, de 0,2-6,06 mg/l dans les eaux de puits et de 2 à 4,5 mg/kg dans les poissons alors que la norme de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) est inferieure a 1,5 mg/kg (Gnandi et al., 2007). Les pêcheurs à cause de ces boues de phosphates sont obligés de faire de longues distances avant de pratiquer leur activité. En effet, la pollution de la mer limiterait l’abondance des poissons au large de leur côtes.

Par ailleurs, une étude de Hazou et al. (2019) indique que les sites de rejet des déchets de Kpémé présentent des concentrations de radioactivité plus élevées que celles de nombreux autres gisements sédimentaires de phosphates exploités dans le monde. La dose efficace annuelle moyenne à Kpémé est de 0,48 mSv/an (Hazou et al., 2019)[1].

Kpémé et Goumoukopé subissent silencieusement les impacts néfastes du lavage de phosphates qui viennent s’ajouter déjà aux problèmes de l’érosion côtière que vivent ces deux communautés de la zone côtière togolaise. Les activités liées au lavage de phosphate ravagent l’environnement et la vie sociale dans ces deux localités. Les préjudices environnementaux qui sont essentiellement la pollution de l’air, la dégradation de la qualité de l’eau, la perte de la biodiversité pour ne citer que ceux-là… ont des répercussions indirectes et directes dangereuses sur la santé humaine et le bien-être social dans ces communautés.

 

Les boues de phosphates lavées de l’usine de traitement de Kpémé déversées dans la mer

 

Une pirogue revenue de la mer sans prise de poissons à Goumoukopé


[1] https://link.springer.com/article/10.1007/s41605-018-0091-x

L’industrie des phosphates et les changements climatiques

Comme toute usine fonctionnant aux moyens des énergies fossiles que sont le pétrole, le diesel, et le gaz pour ses procédés de traitement des boues de phosphates avant leur rejet dans la mer, l’usine de phosphates à Kpémé rejette des gaz à effet de serre (CO2, NO2, etc.) dont leur rôle dans le réchauffement climatique n’est plus à discuter. Ces gaz sont directement responsables du réchauffement de la planète. Le dernier rapport du GIEC montre que les émissions de gaz à effet de serre provenant des activités humaines [industrielles] sont les causes d’un réchauffement d’environ 1,1°C depuis 1850-1900 (GIEC, 2021)[1]. Même si l’Afrique ne contribue qu’a moins de 4% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, il est crucial que la transition énergétique soit aussi fortement considérée dans les usines et industries comme celles des phosphates parmi tant d’autres, notamment en enclenchant la décarbonisation des process de fonctionnement traditionnellement ancrés dans les énergies fossiles pour répondre aux objectifs nationaux et mondiaux de lutte contre les changements climatiques ; surtout le volet atténuation.


[1] https://www.ipcc.ch/2021/08/09/ar6-wg1-20210809-pr/

Kpémé et Goumoukopé victimes de l’injustice sociale et environnementale

Subissant les effets pernicieux et dévastateurs de l’exploitation des phosphates au Togo, Kpémé et Goumoukopé sont victimes d’injustice sociale et environnementale. N’étant pas les agents à la base de l’extraction des phosphates, une ressource naturelle commune à tous et n’en bénéficiant presque pas des conséquences et retombées positives de cette exploitation qui polluent leurs eaux et l’air que ces communautés respirent ; leur privant de leurs terres avec un niveau de vie  de leurs populations qui laisse toujours à désirer, Kpémé et Goumoukopé sont injustement victimes de l’exploitation, le traitement et le lavage des boues de phosphates sur leurs propres territoires sans être dédommagées et proprement compensées par ces activities d’extractivisme et connexes auxquelles se livrent la compagnie des phosphates dans le milieu. Ces communautés sont donc prises dans l’étau « érosion côtière et pollution marine et aérienne ».

A travers cet article, le Centre pour la Justice Environnementale-Togo (CJE-Togo) contribue à mettre en lumière les impacts environnementaux alarmants qui découlent de l’exploitation des phosphates, mettant en péril non seulement l’écosystème local mais également la santé et le bien-être des communautés qui y résident. En effet, les conséquences environnementales du lavage du phosphate sont lourdes et très néfastes. Il provoque de sérieuses dégradations de l’environnement (l’air, l’eau, le sol, la faune, la flore et écosystèmes naturels associes). Ces dommages rendent de plus en plus difficiles les conditions de vie des populations locales d’où l’injustice sociale et environnementale qui en ressort de cette activité d’extraction des phosphates dans ces deux localités. 

Une porte de sortie existe pour ces communautés locales affectées par l’exploitation minière

Pour CJE-Togo, il est nécessaire que le gouvernement engage un dialogue franc et sincère avec les communautés victimes (de ces dommages énumérés plus haut dans cet article) et la société civile en général pour régler les problèmes liés à l’exploitation minière afin que cette dernière profite à tous.

Le Centre préconise également que le « Consentement Préalable Informe Libre », en Anglais FPIC (Free Prior and Informed Consent) soit de mise dans toutes les discussions pré-exploitation des ressources minières de manière générale et que ces discussions continuent durant tout le cycle de vie des projets miniers ou extractifs comme celui des phosphates ici à Kpémé et Goumoukopé. Ceci devrait s’appliquer aussi aux lieux d’extraction des phosphates (Avéta, Hahotoé, Kpogamé, etc.).

Dans la recherche de solutions durables aux populations riveraines qui ont perdu leur droit à vivre dans un environnement sain, il est du devoir des autorités nationales et les acteurs de l’industrie des phosphates de reconsidérer leurs pratiques technologiques d’exploitation et d’adopter les mesures de protection de l’environnement, de réglementer strictement l’exploitation du phosphate et d’investir dans des alternatives durables afin de garantir un avenir viable pour les habitants de Kpémé et Goumoukopé.

Autres solutions comme porte de sortie à envisager sont :

Au niveau de l’Etat :

  • Appliquer les textes réglementant le rejet des déchets industriels dans l’environnement ;
  • Faire prendre des mesures incitant la transition énergétique dans les industries ;
  • Veille et suivi écologique des activités minières dans ces localités ;
  • Veiller à l’application du principe pollueur-payeur et de la réparation des préjudices environnementaux ;
  • Veiller à la prise en compte des droits des communautés riveraines de Kpémé et Goumoukopé pour limiter/combattre les injustices d’ordre social et environnemental.
  • Etendre le programme des filets sociaux de l’Etat vers ces communautés injustement affectées 

Au niveau de l’usine des phosphates :

    • Exécuter sans demi-mesure la responsabilité sociale et environnementale des entreprises ;

    • Améliorer les méthodes de gestion des déchets en utilisant les systèmes appropriés de traitement des effluents avant leur rejet ;

    • Réduire l’émission de certains de certains gaz et poussières en traitant au préalable les déchets à incinérer ;

    • Introduire les énergies non-polluantes dans leurs procédés industriels de traitement des phosphates ;

    • Entrevoir une économie circulaire par le recyclage des déchets de phosphates ;

Au niveau des communautés locales :

    • S’organiser davantage pour faire plaider leurs causes ;

    • Participer activement aux activités de protection de l’environnement.

Au niveau des acteurs non-étatiques :

    • Appui-accompagnement des communautés affectées pour améliorer leurs conditions de vie sociale et environnementale (les AGR, etc.) ;

    • Lobby et plaidoyer pour la justice sociale et environnementale auprès des décideurs et autorités étatiques ;

    • Sensibiliser les populations riveraines des zones polluées à protéger les puits et nourritures contre les poussières ;

    • Amplifier le narratif de la transition énergétique ;

    • Renforcer les capacités de ces communautés riveraines sur les outils et techniques de « Reporting environnemental » afin de faire le suivi approprie de la dégradation de l’environnement dans leurs milieux affectés ;

La gestion durable des phosphates passera par l’application d’un des principes fondamentaux du développement durable, celui du pollueur/utilisateur-payeur qui est une nécessité et de la responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de l’environnement et des communautés locales riveraines affectées de Kpémé et Goumoukopé. Selon ce principe ‘pollueur-payeur’, toute compagnie ou entreprise utilisatrice d’un bien commun comme les ressources environnementales devrait payer le juste prix pour l’utilisation et la conservation du capital naturel. Ceci pour rendre le développement plus humain et durable, comme le vise CJE-Togo qui a pour objectif de contribuer à l’amélioration des conditions de vie socio-économiques et culturelles des communautés de base dans une approche de développement humain durable et participative[1].


[1]https://cje-togo.org/qui-sommes-nous/